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27 Aug

Quel regard sur la Chine ?

Publié par secretaire de section

Relations internationales                                         

Jacques Fath

10 08 08       

 

Quel regard sur la Chine ?

 

 

Il ne s’agit pas pour nous de «juger» la Chine au sens où nous pourrions nous prévaloir d’un magistère intellectuel et politique imparable. Non seulement il nous faut une certaine modestie face à cet immense pays en évolution rapide mais surtout, nous avons besoin d’une démarche politique.

Nous se sommes ni des experts, ni des juges mais il nous faut appréhender les réalités pour ce qu’elles sont, dans leurs  contradictions. Il faut faire l’effort de partir des réalités et non de l’idée qu’on s’en fait, ou de ce qu’on voudrait qu’elles soient.

 

Le débat porte essentiellement sur trois questions.

Premièrement, les Droits de l’homme. Cette question est lourdement posée en Chine mais il s’agit aussi de la démocratie et cette question est d’une toute autre dimension.

Deuxièmement , la Chine et son mode de croissance capitaliste. La Chine ne serait que cet «atelier du monde», autrement dit cette menace grandissante du «made in China» et des bas coûts de production dans la mondialisation capitaliste. Là aussi, il y a une vraie question, mais il faut se garder des simplismes.

Troisièmement, l’avènement d’une nouvelle puissance politique et militaire, ce dont témoigneraient les dépenses de Pékin en matière de défense. Le débat n’est pas revenu au «péril jaune» d’il y a quelques décennies. Cet avatar de la guerre froide aux relents racistes n’est heureusement plus d’actualité. Mais, là encore, une question sérieuse est posée.

 

Démocratie, développement et mode de croissance, recherche de la puissance … il va de soi que ces 3 grands enjeux sont d’une énorme portée non seulement parce qu’ils sont des enjeux fondamentaux pour l’avenir de bien d’autres pays mais aussi parce qu’il s’agit, en l’occurrence, du pays le plus peuplé, dans le développement le plus rapide.

Les évolutions de la Chine ne concernent donc pas que le peuple chinois (ce qui est déjà impressionnant en soi). Elles concernent le monde entier. Ce pays fera -il est déjà- une partie de l’avenir du monde.

 

Il y a un problème des libertés et des droits humains en Chine.

La Chine n’est pas un Etat de droit fondé sur la garantie des libertés individuelles et collectives essentielles. Il n’y a pas de syndicats autonomes, pas d’élections (sauf au niveau local), pas de partis politiques indépendants du pouvoir, pas de séparation entre le parti et l’ Etat, pas de pluralisme de l’information, pas d’expression libre, pas de presse libre. Des journalistes et des internautes sont harcelés, arrêtés. C’est aussi la censure des médias (presse, télévision, internet, cinéma…), la corruption, les jugements arbitraires, l’interdiction et la répression des manifestations. La peine de mort reste une pratique courante, mais la vente d’organes de personnes exécutées est tout de même mieux réprimée. Nombre d’ONG réclament la fin de certaines pratiques comme la détention administrative, les mauvais traitements et la torture mais les violences physiques sont illégales et condamnées par les autorités.

La Chine n’est certainement pas (ou plus) un régime totalitaire ou dictatorial mais le régime reste non démocratique et autoritaire même si l’on constate des assouplissements (notamment en matière de liberté de circulation) et des évolutions non négligeables. Par exemple le début, peut-être, d’une opinion publique avec l’apparition d’organisations écologiques et de consommateurs, avec l’usage du net et du téléphone mobile. En milieu urbain, le développement économique et les progrès de la consommation favorisent une certaine expression de la vie privée et de l’individu.

Les dirigeants chinois sont obligés de tenir compte de ces nouvelles réalités et de pratiquer ce que Jean-Luc Domenach (spécialiste reconnu de la Chine) appelle un «autoritarisme relâché». Il y a quelque chose comme la crainte de ne pas répondre aux attentes du peuple. D’ailleurs des rassemblements de protestation, des émeutes, des «jacqueries» éclatent par milliers chaque année (elles ne sont jamais dirigées directement contre le pouvoir central).

Ce qui semble poser un autre grave problème aujourd’hui ce sont les droits sociaux avec une répression souvent brutale dans les lieux de travail et une carence encore cruelle de législation et de garanties face à des conditions d’exploitation souvent très dures dans le travail et le chômage, dans l’accès aux soins, par exemple. Il faut souligner en particulier le sort des migrants de l’intérieur pour l’essentiel dépourvus de droits jusqu’ici. Mais le Premier ministre chinois Wen Jiabao a annoncé, lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (mars 2008) la mise en place d’un système de protection sociale. On verra comment les autorités chinoises parviendront dans l’avenir à donner corps à cet engagement.   

Il se dit de plus en plus que la révolte de Tien An Men, en 1989, au nom des libertés -mais non sans causes sociales- a été «utilisée» trois ans plus tard par Deng Xiao Ping pour relancer ou accompagner les réformes et accélérer la libéralisation de l’économie, l’ouverture au marché et aux modes de gestion du capitalisme occidental… jusqu’à l’intégration volontariste à la mondialisation actuelle -significative partout d’inégalités et de reculs sociaux- en passant par l’adhésion à l’OMC en 2001. Avec aujourd’hui un secteur privé qui représente plus de 57% du PIB, et des firmes multinationales qui freinent l’adoption ou l’application de nouvelles réglementations sociales. Jusqu’à quel point la promesse d’une «société plus juste» (Wen Jiabao) trouvera une réalisation susceptible de corriger ou amoindrir les dommages sociaux d’une telle politique ?

Le PCF ne pose pas la question des libertés pour rejeter la Chine, au nom de droits humains non respectés. Certaines organisations -estimant qu’il s’agit de leur responsabilité- pratiquent ainsi en révélant d’ailleurs l’inefficacité de leur action. Les autorités chinoises, conscientes du poids de leur pays, le plus souvent ne cèdent pas et ont, au contraire, tendance à se raidir. Et puis n’oublions pas que la Chine, malgré sa «profondeur» historique manque d’une tradition de liberté et d’Etat de droit. La déstructuration coloniale qu’elle a subie y a contribué. Méfions-nous, cependant, de l’argument historique. La «nécessité» du temps de l’adaptation est invoquée systématiquement par des régimes qui considèrent que «leur» peuple n’est pas mûr pour la démocratie alors que celle-ci est au centre des enjeux.

Le débat sur les Droits de l’homme en Chine est aussi très biaisé par son instrumentalisation politico-médiatique. Ce qui est en cause, bien souvent, ce ne sont pas les droits humains mais des choix idéologiques.

La simple dénonciation ne nous suffit donc pas. Elle ne permet pas une approche politique qui permette de considérer le sens, les formes et les contenus de l’exigence démocratique dans le développement d’une société et d’un régime.

Naturellement, les pratiques répressives illégitimes, les actes non conformes aux conventions internationales signées, et aux pratiques communément admises en matière de dignité humaine doivent être condamnés. Nous le faisons au nom de nos valeurs. Le système autoritaire chinois et les pratiques répressives semblent, en effet, ne pas reculer autant que le discours et les engagements officiels le promettent.

Notre approche ne consiste donc pas seulement à juger de la conformité des choix des autorités chinoises avec les normes établies en matières de droits civils et politiques. Comme parti politique c’est un aspect de notre positionnement. Mais ce n’est qu’un aspect. Cela ne dit rien, en effet, sur ce que nous attendons des orientations politiques liées au choix communiste (choix économiques, sociaux, institutionnels, culturels…) qui devraient définir, selon nous, un type de développement et de transformation sociale progressiste.

En revanche, mesurer comment les autorités chinoises traitent de l’exigence démocratique au sens d’une pleine et active citoyenneté, d’ une intervention populaire dans la gestion, par les gens, de leur propre affaire et dans la définition des choix à tous les niveaux… est d’une importance décisive. Cela montre l’attention que porte un régime à la fois aux institutions, à un Etat de droit, aux conditions du changement social et à la réponse aux attentes du peuple. C’est le vrai sens, selon nous, de l‘ effort démocratique aujourd’hui.

Encore une fois, nous ne négligeons pas la question des Droits de l’Homme. Ce serait irresponsable et cela n’aurait pas de sens. Ces droits sont des acquis du mouvement populaire et révolutionnaire qui a marqué, en particulier, l’histoire de la France, de l’Europe et de ce que l’on appelle l’Occident. C’est d’ailleurs au nom de cette histoire occidentale qu’ils sont rejetés ou relativisés par certains, alors que ces droits possèdent une vraie dimension universelle.

Apprécier les évolutions de la Chine de cette manière ne conduit pas à minimiser les critiques. Au contraire, car à la carence en matière de libertés s’ajoute la réalité d’un régime institutionnel, de modes de gestion à la fois autoritaire, très hiérarchisés, souvent arbitraires, dans le cadre d’un système politique de parti unique. Ce qui justifie notre approche critique ce n’est donc pas seulement le non-respect de droits individuels et collectifs c’est le caractère d’ensemble d’un système au sein duquel l’exigence démocratique est pour l’essentiel ignorée. La préoccupation du contrôle,  de l’ordre, de la maîtrise et de la sécurité l’emporte -c’est le cas au Tibet- au détriment d’une politique d’initiative démocratique, de création de droits nouveaux.

Il y a là deux cultures, deux visions différentes, non compatibles, de la société et du politique. Le choix d’un parti communiste ou progressiste doit plutôt, selon nous, s’inspirer de la deuxième. On verra comment la Chine, poussée par son ouverture au monde - dont les JO sont un moment crucial - par son développement et par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, sera capable de répondre aux besoins nouveaux de pluralisme et de libertés d’expression.

 

La Chine et son mode de croissance capitaliste.

Sur quels critères juger ? Avec quels chiffres (on dit que les statistiques chinoises sont quelque peu sujettes à caution) ? Comment apprécier les évolutions économiques et sociales de la Chine dans la durée ? La politique conduite offre-t-elle des réponses économiques, sociales et institutionnelles adaptées aux besoins et aux attentes du peuple chinois ?  Peut-on comparer la Chine d’aujourd’hui à  celle d’avant les années 80 c’est à dire avant le début des réformes ?

On additionne plus facilement les questions que les réponses. En réalité, toutes ces questions n’en forment qu’une seule. Ce qui est en jeu c’est bien un mode de développement dans sa globalité, avec ses contradictions, avec ses critères propres d’efficacité, avec ses conséquences, avec son insertion dans le monde d’aujourd’hui, avec la vision d’avenir qu’il impose…

On peut longuement débattre de certaines formules : marché, économie socialiste de marché, société harmonieuse… Au bout du compte les choix économiques et sociaux décident d’un mode de développement particulier et c’est de cela dont il faut parler.

Deng Xiaoping avait justifié, en 1987, la conversion économique chinoise, engagée avec les réformes commencées à la fin des années 70, en disant : «la planification et le marché ne constituent pas les différences essentielles entre le socialisme et le capitalisme. Une économie planifiée ne définit pas le socialisme puisqu’il y a de la planification dans le capitalisme ; l’économie de marché existe dans le socialisme. Planification et marché sont donc deux façons de contrôler l’activité économique».

Il confirmait ainsi, par cette phrase équivoque assez célèbre, le processus de libéralisation, de privatisation, d’ouverture au capital étranger, de facilités accordées aux investissements directs étrangers et aux multinationales. On sait qu’en 1980 (et 1988) les autorités chinoises avaient invité Milton Friedman, le théoricien américain de l’ultra-libéralisme, à venir exposer ses thèses à Pékin devant un ensemble de hauts cadres et de professeurs.

La Chine est devenue en quelques dizaines d’années «l’atelier du monde» avec un salariat en grande partie durement exploité et sous-payé, très encadré, avec des syndicats intégrés au système de direction ou incapable de faire respecter les règles existantes. Elle est devenue, par l’exportation, la 4ème puissance économique mondiale au prix d’inégalités croissantes, depuis le début des réformes et de la politique d’ouverture. La croissance a conduit plusieurs centaines de millions de chinois hors de la pauvreté mais sur 1,3 milliard d’habitants, 900 millions ne peuvent pas accéder vraiment à la consommation. Et l’on évalue (selon les références) à 135 millions ou plus le nombre d’individus vivant dans une très grande indigence tandis que la masse des paysans vit pauvrement.

La Chine est devenue un des pays les plus inégalitaires au monde, mais sa croissance a rendu nécessaire la perspective de l’édification d’un Etat moderne. Elle a permis un développement relatif de l’usage du droit. Ce qui pousse à un certain recul de l’arbitraire, à l’exigence de libertés nouvelles. Le mode de croissance capitaliste a changé la Chine. Cet immense pays est sorti en peu de temps du totalitarisme et de la famine par la croissance et une quasi-autosuffisance alimentaire.  Il n’est plus le pays en développement, leader du non-alignement et de l’anti-impérialisme qu’il se voulait être dans les années 60 : 30 ans de croissance forte, de modernisation, d’accès aux technologies, à une certaine puissance militaire, à la conquête spatiale, n’ont pas fait de la Chine une puissance égale des plus grandes dans tous les domaines, mais le visage et le rôle de ce pays dans le monde ne sont plus les mêmes. C’est d’abord une insertion volontariste – mais totalement autonome - dans la mondialisation capitaliste, avec une permanente recherche de la croissance et de la sécurité. Les correctifs d’aujourd’hui -une croissance plus équilibrée et plus attentive au social- voulu par Hu Jintao, vont-ils permettre à la Chine d’échapper à une «walmartisation» -c’est à dire une structuration durable d’inégalités profondes- par un recul décisif du niveau d’exploitation et de pauvreté actuels ? On voit comment le mode de croissance de la Chine met partout les travailleurs en concurrence, entretient la peur des délocalisations et du chômage. On voit aussi les conséquences désastreuses sur l’emploi de l’accession massive de produits chinois à bas coûts dans certains pays, en particulier d’Afrique …

L’insertion de l’économie chinoise dans la mondialisation – pour les intérêts propres à la Chine - est le choix stratégique de la réforme lancée en 1978 puis accélérée en 1992 (après Tien An Men). Combattre la pauvreté, accéder au développement et à la modernité étaient les objectifs essentiels de ce choix qui s’est appuyé sur un mode de croissance capitaliste.  Après 30 ans d’une telle politique on voit le prix à payer : un niveau élevé d’exploitation pour quelques centaines de millions de salariés, une dégradation du sort des populations rurales, une protection sociale et des droits sociaux qui restent très faibles, un développement des inégalités, une dégradation importante de l’environnement par la pollution industrielle…

La maîtrise de ce mode de développement et des corrections actuelles, (par exemple certains droits pour les migrants et même pour la grève…), dépend essentiellement du rôle quasi exclusif du parti et du régime. Alors que, justement, les aspirations à la démocratie et le besoin d’Etat de droit et de droits sociaux s’affirment de plus en plus avec le développement du pays. Jusqu’où cette contradiction grandissante pourra-t-elle être assumée ?

 

La Chine est-elle une nouvelle puissance globale en formation ?

Il faut d’abord abandonner cette idée selon laquelle la Chine serait encore un pays en développement ou un pays du Tiers monde même si elle reste un pays de pauvreté. La Chine joue aujourd’hui, en effet, dans la cour des grands en considération de son rôle économique, commercial et monétaire mondial; elle constitue un nouveau pôle de puissance financière avec ses fonds souverains ; elle participe avec le Japon, la Corée du Sud et 10 autres pays de la région à la création, annoncée en mai dernier, d’une sorte de FMI asiatique disposant de 80 milliards de dollars (52 milliards d’euros) pour faire face à une éventuelle crise financière régionale; elle dispose d’un arsenal nucléaire ; elle contribue à la conquête spatiale et commence même à réussir dans le militaire spatial (en faisant récemment exploser un satellite en orbite)… La Chine veut être considérée et acceptée comme grande puissance participant à la gestion des affaires du monde, y compris en assistant aux réunions du G8, en assumant son rôle au Conseil de sécurité de l’ONU, en participant à des organisations régionales comme l’ASEAN ou l’Organisation de Coopération de Shanghai qui rassemble avec la Russie, plusieurs pays d’Asie centrale.

Les dirigeants chinois semblent penser leur pays d’abord comme une puissance parmi les autres puissances ; une puissance qui coopère, qui contribue à des opérations collectives de maintien de la paix. Mais une puissance ayant vocation à jouer les tout premiers rôles, avec beaucoup de fierté, un certain nationalisme et manifestement une grande ambition. La Chine est déjà probablement le pays le plus puissant d’Asie.

 

Il est significatif que la principale rivalité soit, pour pékin, la rivalité sino-américaine (qui justifie d’ailleurs largement son rapprochement avec Moscou). Une rivalité qui prend des dimensions économiques, commerciales et monétaires mais surtout politique avec la confrontation latente sur Taiwan. On pense que la Chine acquiert des capacités technologiques militaires relativement élevées malgré la confidentialité maintenue sur la question. L’augmentation des dépenses militaires chinoises (près de 18%, officiellement, en 2008 et en 2007) suscite d’ailleurs certaines méfiances régionales.

 

La Chine cherche la stabilité et la sécurité, en particulier en Asie, d’où viennent près de 70% de ses importations, pour obtenir le contexte nécessaire à son développement économique et à ses échanges, y compris avec des pays comme le Japon alors que les relations politiques et les rivalités, avec ce pays en particulier, offrent un cadre difficile.

Le niveau atteint par la croissance économique depuis le début des années 2000 a cependant changé la donne. Les besoins en énergie et en matières premières ont poussé la Chine à démultiplier ses relations avec la Russie, l’Amérique latine, le monde arabe, par exemple. Mais aussi, et en particulier, avec l’Afrique.

Les dirigeants chinois gèrent cette extension du rôle international de leur pays en fonction de leurs intérêts stricts, et quasiment sans considération éthique d’aucune sorte. Ce qui conduit la Chine, dans ses relations d’Etat à Etat à soutenir ou protéger des régimes peu recommandables comme ceux de Birmanie, du Soudan ou du Zimbabwe. Mais cela la conduit aussi à des accords positifs, par exemple avec le Venezuela. Des accords qui peuvent offrir des alternatives à la domination des Etats-Unis. Ce qui, évidemment, est loin d’être négligeable dans les rapports de force d’aujourd’hui. Il est important que la principale puissance néo-impérialiste, les Etats-Unis, puisse se heurter, au Conseil de sécurité des Nations-Unies et dans d’autres circonstances, à des puissances qui n’acceptent pas cette domination et qui n’ont pas la même conception des relations internationales.

La question «où en est la Chine ?» n’est-elle donc pas, en même temps, où en est le monde d’aujourd’hui ? La Chine, en effet, est pleinement partie prenante des évolutions géopolitiques et de la mondialisation capitaliste. Elle y contribue directement et activement. Elle ne veut plus être un leader tiers-mondiste. Cette période, celle du maoïsme et de la révolution culturelle, est bien terminée. Son ambition est d’une toute autre nature et se situe sur une autre échelle. Ses choix économiques, son mode de gestion, sa politique étrangère et de défense font d’elle, dans le monde d’aujourd’hui, un rival dans la course à la puissance, un concurrent ou un partenaire économique dans la globalisation, un allié stratégique et sécuritaire difficile, souvent divergent des puissances occidentales… Mais jamais un adversaire antagonique global. Il n’y a plus de différence de système et les contradictions majeures ne sont pas idéologiques. Les contradictions sont des contradictions de puissance et d’intérêt. Certains désignent cette nouvelle configuration dans les relations internationales comme un monde multipolaire en émergence, et qu’il faudrait contribuer à construire.  Il s’agit plutôt -l’échec du cycle de Doha de l’OMC le montre- d’une montée des rivalités inter-capitalistes. Il faut donc changer la méthode d’approche. Comme dit Jean-Louis Rocca (chercheur et spécialiste) : « La Chine ne peut plus être analysée dans les termes du maoïsme ». Il est temps d’en prendre la mesure.

L’expression «il n’y a plus de modèle» est donc évidemment parfaitement valable s’agissant aujourd’hui de la Chine. L’alternative reste à inventer et à construire pour répondre aux défis de notre période : les inégalités, le développement, l’emploi, l’alternative au productivisme et au profit, la sauvegarde de l’environnement, la sécurité, le désarmement et la paix.

Deux questions restent cependant posées : qu’est-ce que le PCF a de commun avec le PC chinois ? Que faut-il faire avec la Chine ?

 

Ce que le PCF a de commun avec le PCC, c’est évidemment une part historique de nos existences parallèles, comme partis se référant au communisme. Mais cela dans un contexte politique où le Mouvement communiste international n’existe plus où la notion de communisme renvoie à des cultures, des expériences, des visions, des stratégies très divergentes en particulier sur ce qui fait pour nous le cœur des enjeux : la question démocratique ou la démocratie à la fois comme moyen de réponse aux attentes sociales et comme objectif essentiel dans la visée communiste.

Bien sûr, PCF et PCC ne sont pas devant le même type de responsabilité. Le PCC doit affronter les immenses problèmes de la satisfaction des besoins et de l’avenir de 1,3 milliards de citoyens. Il a choisi pour cela de construire une puissance dans le capitalisme.

La nature de la réforme lancée à la fin des années 70 a fait sortir la Chine de l’économie socialiste planifiée pour la faire rentrer dans une «modernité» post-maoïste, une rupture graduelle mais rapide, fondée sur une économie de marché internationalisée et un mode de croissance capitaliste. C’est une réforme radicale du système économique qui exclut tout changement structurel majeur dans le pouvoir d’Etat et la sphère politique garants de la «stabilité». Le PCC conserve en effet le monopole du pouvoir dans une imbrication étroite avec la sphère économique et les «entrepreneurs», y compris au niveau local.

Pour certains ce mode de développement ne serait qu’une phase préalable nécessaire à la construction du socialisme… qui viendrait donc «après». Est-ce vraiment crédible ?.. On perçoit, cependant, aujourd’hui, des signes de changement (qui ont un tout autre sens) : recherche de la maîtrise de processus de productions de haute technologie, répression de la contre-façon, besoin du droit, besoin de formation, volonté de plus grande justice sociale, début d’augmentation des salaires…Le stade atteint par le développement économique, le besoin d’un Etat efficace, les contraintes inhérentes à un rôle international et à l’impératif écologique, la nécessité de répondre à des attentes sociales plus fortes…tout cela indique probablement la fin d’une Chine zone atelier de montage pour l’exportation, de techniques importées et de travail peu qualifié, pour une Chine dans une nouvelle phase de sa croissance capitaliste et de sa constitution comme puissance majeure.    

Il y a bien un débat politico-intellectuel, intérieur au régime, sur la nature de la réforme, mais il reste pour l’essentiel circonscrit à des cercles restreints et ne semble pas en mesure d’infléchir sérieusement le développement actuel, en tous les cas pour le moment.

La divergence entre le PCC et le PCF porte ainsi sur la conception de la réponse à la mondialisation capitaliste. Elle vient aussi de visions contradictoires sur ce que signifie être porteur d’un dessein révolutionnaire et être un parti communiste aujourd’hui. Voilà des questions fondamentales qui doivent faire l’objet d’un débat ouvert et sans tabou entre les deux partis.

 

La question «ce qu’il faut faire avec la Chine» a une réponse à la fois évidente et simple : il faut dialoguer, coopérer, se comprendre…ou accepter qu’on ne puisse pas le faire lorsque les divergences l’emportent. Cette question a cependant une sorte de légitimité particulière car la relation avec la Chine est en permanence diabolisée et idéologisée dans le débat médiatique. Parce qu’il s’agit d’un pouvoir exercé par un parti communiste ; parce qu’il s’agit d’une puissance rivale des plus grandes d’aujourd’hui… La Chine n’est pas le seul pays à ne pas être un Etat de droit, mais il est un des rares à faire l’objet d’une «sollicitude» critique et dénonciatrice aussi appuyée. Il est donc nécessaire, en quelque sorte, de banaliser -au sens rendre normal- le rapport avec la Chine, l’établissement de partenariats dans tous les domaines nécessaires et d’échanges politiques et culturels, y compris sur les questions touchant aux enjeux de la démocratie. Comme on doit le faire concernant d’autres pays. Il est donc nécessaire de politiser la question de la relation avec la Chine pour la sortir du «droitdel’hommisme» simpliste, sans en rabattre sur les libertés et sur l’exigence démocratique, et pour la faire porter sur les défis du monde d’aujourd’hui et de notre époque.

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