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18 Oct

Discours de Mouloud Aounit au pont Saint-Michel

Publié par secretaire de section

Discours de Mouloud Aounit au pont Saint-Michel

17 octobre 1961 : un crime d’État

1961 : La guerre d’Algérie est rentrée dans sa dernière phase, celle décisive où tout se joue –les négociations entre la France et le gouvernement provisoire algérien achoppent sur le statut du Sahara. Cette même année, en avril, c’est l’échec du coup d’Etat des généraux félons et c’est la création de l’OAS.

Le 17 octobre 1961, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants manifestaient pacifiquement à Paris contre un couvre feu raciste décrété par Maurice Papon de sinistre mémoire, alors Préfet de Police de Paris leur interdisant de circuler dans les rues après 20h. Par ces manifestations silencieuses, appelées par le FLN, ils  exprimaient leur exigence de dignité, leur désir d’égalité et leur volonté d’indépendance de l’Algérie. Une répression sanglante se déchaînait alors, qui se poursuivra jusqu'au 20 octobre. Des arrestations massives, des exécutions, des noyades, des tortures, des déportations frapperont aveuglément les Algériens de Paris et de sa banlieue.

Partout aux portes de Paris, aux bouches de métro, on traque l’Arabe. La police se déchaîna avec une férocité sans nom. Des centaines d’algériens vivront l’horreur. Dans les commissariats, on humilie, on tue même. Au gymnase Japy, toute la nuit, on torture. De ce même pont Saint-Michel où nous sommes rassemblés ce soir, des Algériens sont assommés et jetés ligotés dans les eaux de la Seine. Du 17 au 20 octobre 1961, plus de 11 000 personnes seront raflées, parquées comme du bétail, à la Porte de Versailles, à Vincennes. Bilan : plus de 200 morts et 400 disparus.

Dès le 18 octobre 1961, le MRAP appelait à un meeting de protestation. 47 ans après, malgré la mobilisation d’un certain nombre d’entre nous, un tenace silence d’Etat pèse toujours et lourdement sur ce crime d’Etat. Cette ratonnade en plein Paris reste toujours impunie. Force est de constater qu’au-delà de certains cercles militants, l’occultation du 17 octobre participe à un incompréhensible brouillage historique : la confusion entre le 17 octobre 1961 et les évènements de Charonne du 8 février 1962 en est un signe évident.

Et pourtant, chaque année, dans une curieuse indifférence médiatique, depuis 1991, nous nous donnons rendez-vous ici même contre l’oubli.

Cependant, des avancées dans la reconnaissance de ce crime d’état sont à mettre à l’actif de la mobilisation citoyenne. La première fut l’échec de Maurice Papon, ce complice de crime contre l’humanité, dans sa misérable tentative de faire condamner Jean-Luc Einaudi, l’un des premiers à avoir démontré l’importance de ce crime et les mensonges de la version officielle. Plus largement, la seconde avancée fut la reconnaissance en 1999 par l’assemblée nationale du terme de « guerre » pour parler de ce que l’on nommait hypocritement jusqu’alors les évènements d’Algérie. Enfin, la pose d’une plaque commémorative sur ce pont ou encore à Nanterre, Gennevilliers, Saint Denis ou  la Courneuve où c’est une rue qui porte le nom du 17 octobre 1961, prouvent que la société française est aujourd’hui prête à regarder sa propre histoire bien au delà de ce que prétendent nos responsables politiques qui sous prétexte de ne pas de réouvrir les plaies de l’histoire ne font qu’entretenir  volontairement la négation et l’oubli.

Nous ne sommes pas ici pour demander une quelconque repentance. Nous voulons tout simplement une reconnaissance officielle de ce massacre. Cette quête que nous poursuivons relève tout à la fois d’une mesure de justice, de dignité et de respect pour les victimes et leurs familles. C’est un défi contre la négation de ce massacre d’Etat et dont la non reconnaissance rend impossible le deuil de nombreuses familles et participe aux terribles logiques de haine et de revanche. L’amnésie et le refoulement chez les uns favorisent en contrepoint chez les autres  l’amertume, les frustrations, et les rancoeurs ; De plus, il encourage et structure, et pas seulement chez les nostalgiques de la colonisation, le racisme anti-algérien en particulier, et anti-maghrébin en général.

Dans ce contexte, les zélateurs de l’empire français sont loin d’avoir baissé les bras. En témoigne le développement de stèles et de monuments à la gloire de l’OAS et dont certains assassins trouvent désormais un soutien indéniable avec cette loi de la honte du 23 février 2004 consacrant les bienfaits du colonialisme. Aussi, comment ne pas exiger ici l’arrêt du soutien officiel à ces commémorations publiques qui déshonorent la république comme ce fut le cas à l'Arc de Triomphe sur la tombe du Soldat inconnu, à Versailles, Bourg la Reine en Région parisienne puis à Toulon, Perpignan, Marignane, et aujourd'hui Béziers.

Nous avons adressé le soutien du MRAP à Jean-Louis BOUSQUET qui vient d'intervenir pour demander que la stèle "glorifiant" ces 4 criminels en plein centre du Cimetière de Béziers disparaisse de l'espace public. Il a reçu, comme notre ami Jean-François Gavoury, dont le père commissaire central à Alger a été assassiné par ces hommes, de graves menaces, en particulier d'un ancien membre de l'OAS qui se vante d'avoir été condamné pour ses activités terroriste et connu pour son appartenance aujourd'hui au F.N. Nous venons d'intervenir auprès de Madame la Ministre de l'Intérieur et du Président de la République pour que la décision prise par le Tribunal administratif exigeant le retrait du domaine public de la stèle OAS de Marignane située dans le Cimetière soit rapidement appliquée et qu'elle fasse jurisprudence pour les autres scandaleuses exhibitions.

Le deuxième défi relève d’un enjeu pour le présent. En effet, nous estimons que l’exigence de la reconnaissance de ce massacre est une condition d’apaisement, une donnée cardinale pour permettre et construire le vivre-ensemble.

L’émergence, dans le débat public, de cette demande, a pour origine notamment le sentiment de mépris que l’oubli, l’amnésie, le retard accumulé ont généré vis-à-vis des familles des victimes, et de leurs enfants. Ces derniers, qui de surcroît vivent souvent des humiliations quotidiennes générées par les discriminations sociales et politiques ressentent ce trou de mémoire comme une marque supplémentaire de mépris.

Enfin, le silence et l’oubli sont de réels dangers pour le devenir de la république. En effet, le refus de la France de regarder et de reconnaître son passé colonial et les forfaits qui l’ont accompagné, risque de participer à l’entretien de ce sentiment que certains extrémistes irresponsables ne se gênent pas d’exploiter, à savoir la concurrence des mémoires et le sentiment que la France participe à une hiérarchisation des souffrances.

C’est pourquoi le MRAP attend une reconnaissance officielle de ce massacre d'État commis le 17 octobre 1961, ainsi que la condamnation par les plus hautes autorités françaises de la pratique de la torture, des crimes contre l'humanité commis au nom de la France pendant la guerre d'Algérie.

Pour que notre pays se libère et des préjugés hérités du colonialisme et des séquelles de la guerre d’Algérie qui marquent encore profondément notre vie publique et notre société civile, le MRAP demande :

-         Que s’engage un travail approfondi de toute notre histoire coloniale, en Afrique, en Asie, depuis les massacres de Sétif et de Madagascar jusqu’aux crimes de guerre commis en Algérie et ailleurs.

-         Que ce travail de mémoire s’intéresse aussi au destin que la France a fait aux harkis et à leurs enfants, à l’enrôlement des mineurs en contradiction avec les Conventions de Genève. Ces harkis  -on les appelait les harkis, ces supplétifs utilisés pour le renseignement ou le repérage- ont eu pendant longtemps à souffrir de la stigmatisation. La présence de l’association Harkis et droits de l’homme à nos côtés pour la quatrième année consécutive, témoigne aussi de l’importance de prendre en compte le fait que ces harkis ont été aussi victimes du colonialisme.

Outre la reconnaissance officielle du crime commis par l’Etat français les 17 et 18 octobre 1961,

 le MRAP demande également :

-         la liberté d’accès effective aux archives pour tous, historiens et citoyens

-         le développement de la recherche historique sur ces questions dans un cadre franco-algérien et international

-         l’inscription dans les manuels d’histoire de cette tragédie

Plus que jamais les conflits de mémoire sur la guerre d'Algérie contribuent à empêcher la nécessaire reconnaissance des souffrances occasionnées par les violences colonialistes, et hypothèquent les relations fraternelles qui sont à la base des valeurs humanistes qui fondent notre civilisation. Nous lutterons le temps qu’il faudra pour rétablir la vérité historique que tous les pouvoirs politiques qui se sont succédé depuis 1960 ont voulu étouffer, afin de permettre aux jeunes générations de comprendre que leurs parents, grands-parents, victimes de cette histoire doivent être réhabilités comme victimes innocentes.

Paris, le 17 octobre 2008, à 18 h.

 

 

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