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05 Sep

Les français, le changement et le parti communiste

Publié par secretaire de section

Les français, le changement et le parti communiste

Une enquête exclusive de la société Viavoice décrypte l’image que renvoient le communisme et le PCF à l’électorat de gauche. Des doutes et de fortes attentes.

« Abandonner le capitalisme ? Dans un idéal, dans un rêve, mais ce n’est pas possible. » Une réflexion parmi des milliers d’autres recueillies par les chercheurs François Miquet-Marty, directeur de la société Viavoice, les sociologues André Gattolin et Erwan Lecoeur, dans l’étude réalisée à la demande du Parti communiste français qui prépare son congrès convoqué en décembre prochain. Cette radiographie de l’opinion publique et du peuple de gauche en particulier est constituée d’une somme d’entretiens particuliers et de discussions en groupe - ce qu’on appelle une enquête qualitative -, en cours de finalisation et d’un sondage (enquête quantitative) dont nous publions aujourd’hui les résultats. Les participants à l’université d’été du PCF, le week-end dernier au Vieux-Boucau (Landes), ont eu la primeur de ces premiers éléments. Actuellement, le travail se poursuit : dix intellectuels de la gauche critique et dix militants communistes présents à l’université d’été sont actuellement auditionnés. Une synthèse générale sera présentée avant la fin du mois de septembre, prévoit Michel Laurent, membre de la direction du PCF.

Les Français jugent avec sévérité - à plus de 70 % - l’ordre économique et social dans lequel ils vivent et désirent un changement rapide mais ils ne sont qu’un tiers à le juger possible. Un capitalisme mondialisé apparaît plus difficile à faire reculer ? Sans doute, mais la situation de la gauche et l’image que renvoie sa principale formation ajoutent sûrement au doute politique. L’enquête Viavoice livre de riches enseignements sur les rapports entre les Français, les valeurs communistes et le PCF. Des jugements contrastés où se mêlent une adhésion aux principes de solidarité et de lutte contre les discriminations, le poids du passé du socialisme réel et une attente d’ouverture et de modernité. « Si la recherche de solutions collectives a reculé par rapport à des enquêtes antérieures, on note une volonté qui reste forte de mise en commun », note Michel Laurent. Ainsi que l’image positive et l’ancrage local des communistes sur le terrain. Pour la direction du PCF, cette enquête est un outil pour aider les communistes à mieux comprendre le regard de l’opinion sur eux-mêmes et les aider dans leur choix d’orientation, et dans un premier temps de nourrir les débats.

Jean-Paul Piérot.

Une société jugée de plus en plus insupportable

Alors que 2% des Français seulement indiquent être « pleinement satisfaits » de la société dans laquelle nous vivons, 71 % se disent « pas vraiment » ou « pas du tout satisfaits ». « Sur plusieurs registres, les Français expriment un puissant désir de changement », remarquent les auteurs de l’enquête. En tête des préoccupations  : l’augmentation du pouvoir d’achat suivi de la réduction des inégalités sociales et de la création d’emplois. Signe d’une urgence sociale qui s’accentue, ils sont 60 % à vouloir des changements rapides dans ces domaines. Mais parallèlement, une minorité seulement (43 %) croit possibles les changements importants qu’ils espèrent. « Il faut comprendre ces résultats dans le contexte qui est le nôtre, avec une gauche qui ne donne pas le sentiment d’être en mesure de proposer aujourd’hui une alternative », explique François Miquet-Marty, directeur de l’institut Viavoice. En effet, dans le panel étudié, les électeurs de gauche sont encore plus pessimistes puisque 57 % d’entre eux perçoivent comme « faible ou nul » le contenu des changements possibles.

C’est pourtant à l’échelle du pays qu’il apparaît le plus réaliste d’espérer des « changements importants » (43 %). Aux niveaux mondial, européen ou communal les espoirs dégringolent avec respectivement 37, 36 et 21 % de l’opinion qui juge possible de réaliser ces transformations. La relative résignation des Français semble aussi s’expliquer par ce sentiment largement partagé que l’autorité de la sphère économique l’emporte désormais sur le pouvoir politique. Une redistribution des cartes qui profiterait par conséquent davantage aux intérêts particuliers qu’à l’intérêt général. S’ajoutent à cela les dégâts d’une conception férocement individualiste de l’existence que n’hésitent plus à exposer les sondés. « On ne peut pas faire grand-chose à l’heure actuelle, il y a trop d’égoïsme… C’est un peu tout le monde qui véhicule ça. C’est peutêtre aussi notre faute d’avoir éduqué nos gamins comme ça », confie l’un d’eux. La perspective d’un « élan collectif  » qui offrait, hier, un débouché politique aux mécontentements des Français semble désormais s’éloigner. « Inquiétudes sur l’avenir, incertitudes et inégalités grandissantes… Le monde va mal. Mais personnellement, on s’en sort assez bien, voire chacun se sent un peu comme un “privilégié”, en comparaison de ce que les médias montrent  », résument les auteurs de l’enquête. Même parmi les couches sociales les plus démunies, la crainte de « perdre le peu que l’on a » semble paralyser tout engagement dans un combat collectif pour le changement.

Vote communiste : un potentiel encore fort

Les résultats de l’enquête sur les potentiels de vote communiste exprimés dans ce tableau reviennent à définir avec précision la part des gens qui pourraient voter communiste et, d’une certaine manière, le public à conquérir pour cette formation. On peut ainsi dire qu’un électeur sur cinq, quelle que soit la configuration électorale, n’écarte pas, a priori, ce vote.

C’est la marque de l’existence d’un électorat de gauche en attente de ce que peut leur proposer le PCF en tant que tel car la réponse à cette question semble concerner spécialement ce parti et non les organisations pouvant elles-mêmes se réclamer du communisme. Les gens faisant nettement la différence, ne confondant pas le PCF avec, par exemple, le NPA d’Olivier Besancenot. Ce qui semble laisser un espace à gauche entre cette force contestataire médiatique et un Parti socialiste en proie à ses rivalités internes. L’enquête Viavoice est-elle en décalage avec d’autres enquêtes où le vote communiste apparaît plus étriqué ? Pas vraiment dans la mesure où, dans ces cas-là, ce sont davantage les intentions de vote dans le cadre d’une offre précise qui sont mesurées. Là, la question est la suivante : pour qui pourriez-vous éventuellement voter ? Voter communiste, pourquoi pas. Les mêmes disant pouvoir voter socialiste, voire Besancenot. Des gens qui demandent donc à être convaincus.

A contrario, on peut être frappé par l’ampleur de ceux qui rejettent systématiquement cette hypothèse : plus de 70 % d’électeurs de gauche sont sur cette base. Notamment des électeurs socialistes. Paradoxalement, ce sont sans doute les électeurs les plus informés, les plus militants, les plus attachés au PS qui n’ont pas envie de voter communiste. Néanmoins, on voit des passerelles, dans les deux sens. Des électeurs communistes qui ont pu voter socialiste et vice-versa pour ceux qui s’identifient pourtant au PS. Le potentiel électoral ne se substitue pas au système politique qui s’est construit avec des sensibilités particulières, tous les électeurs socialistes ou Verts n’étant évidemment pas prêts à affirmer qu’ils pourraient éventuellement voter communiste au prochain scrutin. Reste un fort décalage entre le vote communiste à la présidentielle et le vote communiste local ou législatif, pour lesquels on retrouve à peu près le même potentiel. Cela peut s’expliquer par un plus fort vote utile à la présidentielle. Il y a aussi l’idée bien connue de la proximité et de la distance. Le vote communiste au niveau national pose cependant d’autres interrogations parmi l’électorat potentiel. Les candidats sont moins connus et suscitent des questions sur ce qu’ils pourraient faire en arrivant au pouvoir. On sait ce qu’un maire communiste va faire. On ne sait pas ce qu’un éventuel président ferait… Ce que pourrait devenir un pouvoir communiste n’est pas suffisamment identifié, et est porteur à la fois d’espoir et de craintes. Les expériences gouvernementales avec des ministres communistes n’ont pas levé les doutes, puisque les gouvernements en question étaient reconnus globalement comme socialistes. Plus généralement, les gens attendent des traductions concrètes de leur vote : je vote communiste, mais qu’est-ce qu’il en découle ? Ils manquent sans doute de clarté sur les conséquences.

Le communisme, une idée à « adapter »

Les « idées communistes » ont un avenir, à condition qu’elles soient « adaptées » au « monde actuel » : C’est la conviction d’une forte majorité de Français (55 %) et d’électeurs de gauche (66 %), contre 36 % (25 % d’électeurs de gauche) qui estiment qu’elles n’ont plus « aucune pertinence ». C’est ce qui ressort de l’enquête Viavoice. Mais à condition d’accomplir un sérieux travail d’inventaire. « Misère », « régime totalitaire », idée qui « ne peut pas évoluer », « trop idéologique » : le communisme traîne l’histoire soviétique comme un boulet au pied. Sans surprise, les sondés se classant au centre ou à droite (Modem, UMP) condamnent une idée synonyme, selon eux, de « dictature », de « goulag », de « régime atroce ».

Mais les électeurs proches de la gauche non communiste (PS, Verts) ne sont pas plus indulgents. Les avis négatifs l’emportent largement sur ce que véhicule la notion de « communisme » : ils sont ainsi 53 % d’électeurs de gauche (contre 66 % de l’ensemble des sondés) à avoir une opinion négative, voire « très négative » du communisme. Dans les « verbatim » recueillis sur ce qui « vient à l’esprit » à propos du communisme, il n’y a quasiment que ceux qui se disent proches des communistes ou de l’extrême gauche qui en ont une approche positive : « Un parti du peuple », « l’égalité dans les salaires », « tout le monde est utile, quel que soit son niveau social »… Mais pour la plupart, l’idée est fortement connotée négativement.

Ce passif brouille les tentatives du PCF de promouvoir un communisme ayant rompu avec les régimes de type soviétique. Les réponses sur les « valeurs du communisme aujourd’hui » font état d’une certaine confusion chez les sondés, liée d’un côté « à la diversité des régimes s’en réclamant », mais aussi à une « méconnaissance du passé » communiste en France, notamment chez les plus jeunes, relève François Miquet-Marty, de Viavoice. Ainsi, si le « communisme aujourd’hui » est majoritairement associé à « la solidarité » (60 % des sondés, 69 % de ceux de gauche), « l’anticapitalisme » (respectivement 58 et 66 %), « la lutte contre l’exploitation » (55 et 63 %) et « les discriminations » (54 et 63 %), ou la proximité avec le peuple (50 et 57 %), il n’est que faiblement relié à « la démocratie participative » (31 et 38 %), la « liberté » (32 et 37 %), la « paix dans le monde » (35 et 41 %), « le progrès social » (39 et 49 %) ou même « l’égalité » (39 et 48 %), qu’on pourrait croire consubstantiels à l’idée de communisme d’aujourd’hui, notamment par la « vitrine » que représentent les collectivités à direction communiste qui se sont souvent illustrées par la mise en place de budgets participatifs, l’engagement pacifiste ou encore par des politiques de quotient familial en faveur des familles défavorisées. Moins surprenantes dans la mesure où le communisme français a longtemps subordonné ces « valeurs » à la lutte pour la réalisation du socialisme, les réponses sur « le féminisme » ou « l’environnement » témoignent d’un important retard à combler dans ces domaines.

Pour les sondeurs, « le communisme est victime de n’être plus majoritairement associé à des valeurs qui lui sont historiquement propres : nationalisation, progrès social, paix dans le monde, État », et dans le même temps, « le communisme et le PC sont victimes d’être encore trop associés à la mémoire de l’Union soviétique ». « Cette mémoire collective a pour double conséquence de reléguer le communisme à un héritage historique, pas nécessairement d’actualité ("ce n’est plus à la mode", soutient une jeune femme proche des Verts), et d’entretenir des interrogations sur l’application de l’idéal communiste, une fois la conquête du pouvoir réalisée. »

Une attente d’ouverture et de modernité envers le PCF

Que pensent les Français du Parti communiste lui-même ? Les réponses de l’enquête à cette question peuvent paraître contradictoires, selon les thèmes abordés. Le premier thème concerne l’apport du Parti communiste à la France et à la société. Une majorité des sondés, 50 %, répondent que l’apport du PCF a été positif à la France. Pour 62 % des électeurs de gauche c’est le cas. Dans une autre question cependant, ils ne sont que 37 % à estimer que « le Parti communiste a joué un rôle capital dans la construction du modèle français » et 55 % à penser le contraire. Il semble que le rôle joué par le PCF dans les grandes conquêtes sociales et démocratiques, notamment à la Libération, reste pour les communistes un atout, mais un atout qui tend à s’estomper.

Le second thème concerne les rapports du Parti communiste avec le communisme en Union soviétique. Si 40 % des sondés pensent que le PCF « a suffisamment pris ses distances avec ce qui s’est fait en Union soviétique », ils sont 47 %, de droite ou de gauche, a penser qu’il ne l’a pas fait suffisamment. Ce nombre est évidemment à mettre en relation avec la vision des Français sur le communisme soviétique. « Un régime qui a été atroce », dit une retraitée. Cette proximité supposée par les Français avec ce qui s’est fait dans les régimes de l’Est, constitue pour le PCF un lourd handicap. François Miquet-Marty fait remarquer que chez les 18-24 ans qui n’ont pas connu la période soviétique, la vision du communisme est plus positive. Mais le handicap est là. Il explique en grande partie sans doute pourquoi 54 % des sondés estiment que « le PCF devrait changer de nom en enlevant le mot « communisme dans son appellation ».

Un troisième thème porte sur la crédibilité du PCF. Les sondés sont 30 % à faire confiance au PCF pour changer les choses au niveau de leur commune (43 % des électeurs de gauche le pensent aussi) comme au niveau national. Mais 49 % des sondés et 66 % des électeurs de gauche parmi eux estiment que les idées des communistes qu’ils connaissent dans leur entourage sont positives contre 43 % et 29 % des électeurs de gauche qui pensent que leurs idées sont négatives. À noter que sur les 1 029 personnes interrogées, 493 déclarent avoir des communistes dans leur entourage (famille, amis, collègues).

Le dernier thème porte sur les attentes des Français à l’égard du PCF. « Qu’il s’ouvre aux idées écologistes » pour 83 % des sondés, « qu’il soit plus positif à l’égard de la construction européenne » pour 76 %. Ils sont 36 % à souhaiter des alliances avec le PS, 21 % avec la LCR ou le NPA, 16 % avec LO et 13 % avec les Verts. Ouverture politique, mais aussi sociologique puisque 59 % des sondés estiment que « le PCF s’intéresse trop aux ouvriers et employés et pas assez aux autres catégories de la population ». « Ouverture et modernisation », c’est ainsi que François Miquet-Marty considère les attentes des Français vis-à-vis du Parti communiste. Des Français dont seulement un tiers estime que « les idées communistes n’ont plus aucune pertinence », tandis qu’une majorité large considère que ces idées devraient être en partie ou profondément adaptées.

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